Retour sur le remembrement des campagnes françaises…

Ce texte est un témoignage personnel et donc forcément subjectif qui m’est venu suite au visionnage de la vidéo ci-dessous. Ce n’est bien évidemment pas un rapport scientifique, critique et argumenté, sur la transformation du monde agricole par le remembrement (qui a eu lieu entre 1969 et 1970 dans ma commune de naissance, située au nord-ouest de Nantes). Sa vocation est juste de décrire un ressenti, de proposer un regard de l’intérieur sur cet acte définitif – et pour moi catastrophique – qu’a été l’arrachage de millions d’arbres (la destruction d’un écosystème) et la transformation complète d’une pratique basée sur un savoir empirique en étroit lien avec la nature. Cette pratique était et reste primordiale, car elle concerne la gestion de la terre (épiderme de la planète sur laquelle nous vivons!), et la gestion de notre alimentation. Cet acte définitif témoigne aussi de l’élan donné à l’évolution de la société par le pouvoir de l’Etat.

Cette vidéo m’a fait faire un bond de 47 ans en arrière, quand j’étais petit, aux premiers rangs pour voir ce fameux remembrement et les changements qu’il impliquait (y’avait des barbeuks géants dans les champs, qui restaient allumés des jours et des jours, avec des chênes comack – banches, troncs et souches – pour servir de charbon de bois. Pas le temps d’en faire des bûches après le passage massif des bulldozers). L’agriculture actuelle en découle directement, et je me demande ce qu’en diraient aujourd’hui les paysans et paysannes qui ont participé au tournage…

Il n’y est pas mentionné le rôle central que tenait le crédit bouse et ses techniciens agricoles dans cette histoire. Ils étaient envoyés chaque année dans chaque ferme pour faire des prélèvements de terre (carottages) afin de définir la quantité d’engrais à octroyer dans chaque champ, les tracteurs et machines à acheter – et donc envoyer bœufs et chevaux à l’abattoir…, les nouvelles cultures (maïs…) et nouvelles semences, les nouvelles races de vaches (plus productives, abattoir pour les anciennes), la rénovation des bâtiments agricoles, des habitations aussi (très important ça à cette époque!) et, le plus important, les crédits qui allaient avec tout ça, comme de bien entendu…!!! (Bien que les rénovations n’étaient pas forcément insufflées par les banques, elles les soutenaient sans hésiter)

La vidéo ne parle pas non plus beaucoup de la « politique agricole commune » (issue du « marché commun », ancien nom du marché intérieur européen) et des subventions qui l’accompagnaient (ou non…). C’est normal, vu que c’est quand même avant tout un film de propagande destiné à flatter et faire accepter ce « beau projet »… qui a ravagé le paysage, et la paysannerie… Quel balèze de changement quand même, un sacré bouleversement!!!

Bon cela dit, c’était pas Byzance non plus avant le remembrement, du moins dans ma brousse. A partir de cette époque, exit la terre battue et les courants d’air dans la maison, et les wc au fond du jardin. Plus de pièces (chauffées) pour vivre et dormir, l’eau courante (chaude) et la salle de bain (wahooo, c’est maman qu’était contente!!! nous les bains…)

Mais question campagne, elle était quand même plus belle, plus vivante et pérenne, et on en était beaucoup plus proches et attentionné.e.s, avec beaucoup moins de pression aussi. Quand avaient lieux les gros travaux (en fonction de la grosseur des fermes…), les gens se réunissaient et se donnaient des coups de mains, de façons plus ou moins informelles. Et si la famille – proche ou plus éloignée – offrait de son temps, l’entraide et l’échange existaient déjà depuis bien longtemps et elle n’est donc pas systématiquement liée au remembrement comme dit dans la vidéo (argument réellement utilisé sur le terrain par les VRP du projet lors des réunions dans les mairies)… Cela donnait lieu généralement à des moments joyeux et permettait aux gens de se voir et de se rendre services les un.e.s aux autres, d’entretenir la solidarité.

Certaines fois, des personnes non paysannes participaient à la moisson, à la récolte de betteraves fourragères, ou à d’autres gros travaux, en échange du prêt d’un cheval pour retourner son jardin ou autres retours bien utiles. Rares étaient les cas ou le paysan se retrouvait seul pour ces gros travaux. Le travail était alors partagé autant que les repas. Et rares étaient les moments où le paysan était seul dans les champs. La population paysanne était sans commune mesure plus dense et la taille des champs permettait la communication à travers les haies et les chemins (haies et chemins qu’il fallait certes entretenir…). On prenait le temps de se parler, c’était même un rituel incontournable (le téléphone arable?) !

C’est certain que tous ces liens se sont délités suite à la modernisation agricole. Le remembrement et la modernisation ont été présenté et vendu comme une amélioration des conditions de vie et de travail, mais si cela a été le cas pour certains aspects de la vie des fermiers et fermières, le véritable but était en fait de générer d’immenses profits pour un État et des bénéficiaires bien loin du monde paysan. Les paysans et paysannes se sont retrouvé-e-s de plus en plus seul-e-s (dans les grands champs, comme dans la société). S’ils ont gagné un certain confort matériel, illes ont perdu l’incroyable richesse qu’était leur savoir empirique, et la qualité de leur premier outil de travail : la terre ! illes ont aussi perdu leur autonomie, et cette perte non plus n’est pas négligeable, loin de là !

Quelle n’a pas été leur désillusion quand une fois l’adaptation à cette nouvelle forme d’agriculture réussie (au prix de l’abandon définitif de l’ancienne) et les rendements laitiers parvenus au top du top, on leur a imposé les quotas laitiers ! L’État ayant décidé, dans le cadre de la politique agricole commune et afin de réguler les marchés, que suivant un certain barème, les fermes n’avaient plus le droit de produire plus de tant de litres de lait par livraison ! Le surplus, soit on le balançait dans la nature en toute discrétion, soit il vous était facturé à travers des taxes rédhibitoires ! L’immense majorité des fermes laitières se sont retrouvées dans cette impasse ! Quelle amertume pour celles et ceux qui avaient tout chamboulé dans leur pratique agricoles pour en arriver là ! Quel sentiment de mépris et quelle humiliation… ! Ne parlons pas non plus des épidémies qui sont apparues à plusieurs reprises et qui ont du nécessiter l’abattage des troupeaux… La encore, quel déchirement et quel sentiment d’échec…

Un autre aspect négatif de l’agriculture actuel est l’appropriation des terres par des grands consortiums financiers, ou par des grands propriétaires terriens. Ces derniers n’hésitent plus à acheter des terres à de très grandes distances de leur ferme (quand ils en ont une), jusqu’à parfois plusieurs centaines de kilomètres, quitte à les faire cultiver par des entreprises locales. Ce désaccaparement des terres est un vrai grand retour en arrière pour le monde paysans. Les jeunes agriculteur-trices qui veulent démarrer leur activité ont aujourd’hui un mal fou à trouver des terres. Cela est une des conséquences directes du remembrement.

A l’heure ou je termine cet article (octobre 2017), les journaux titrent : « Pénurie de beurre en France ». Il nous est expliqué que la production laitière n’est pas assez forte face à la demande (qui n’a pourtant pas augmenté à ce point ni si soudainement…). La constatation y est aussi faite, qu’en conséquence de cette inconcevable pénurie, les prix des produits laitiers flambent, et que, bizarrement, les retombées de ces augmentations ne bénéficient nullement aux producteurs, mais à la grande distribution…

Les journaux titrent aussi : « 80% des insectes ont disparus en 30 ans en Europe ». Et aussi : « Une mauvaise année pour les apiculteurs ». Ou encore « Les abeilles sont menacées d’extinction en Europe ». Et aussi « La population d’oiseaux est en chute libre »… D’après les journalistes, les changements climatiques (qui sont effectivement avérés, mais qui n’excusent quand même pas tout) et l’utilisation forcenée du glyphosate et des produits néonicotinoïdes (des herbicides), sont définis comme responsables de la situation. Ces derniers étant des plus meurtriers pour les populations d’insectes pollinisateurs et par effet cascade, pour les oiseaux qui s’en nourrissent. Pour autant, le très majoritaire syndicat agricole qu’est la FNSEA, très actif soutien des politiques de remembrement des années 70, organise des manifestations de paysans afin de soutenir la reconduction de l’autorisation d’utilisation du glyphosate. Il est aussi évident que la disparition de l’habitat naturel des insectes et des oiseaux qu’étaient les bocages et leurs très nombreuses haies, est aussi responsable de cette catastrophe.

En 2017, les haies et autres « petits bois » épargnées par le remembrement continuent pourtant de tomber. Les champs qui déjà sont devenus parfois d’immenses plaines, s’agrandissent encore. Certains même doublent alors leur surface. Force est de constater que, hormis dans les exploitations qui sont revenues à l’agriculture biologique ou raisonnée, la terre agricole meurt littéralement. Elle devient stérile et ne produit plus qu’à l’aide d’apports chimiques de plus en plus massifs.

Aujourd’hui, les vaches laitières sont obligatoirement munies de puces RFID. Le contact que le personnel humain aura avec elles est minimisé, optimisé… Leur alimentation est dosée et distribuée automatiquement. Leur traite est assurée par des robots. Les traitements vétérinaires, en partie exigés par leur confinement, sont commandés à distance. A l’image de beaucoup d’animaux élevés en espaces clôts, elles passent donc leur « vie utile » hors champs, enfermées dans d’immenses hangars d’où elles ne sortiront que pour leur dernière destination: l’abattoir ! Tout ceci bien sûr dans une recherche de rentabilité optimum.

M’enfin, la modernité, ça se cultive, même hors sol et hors champs… et quand bien même la vie n’était pas forcément rose avant, ça a un prix certain, c’est certain! Et celui-ci est énorme! Malgré tous ces efforts, y’a qu’un truc que les banques et l’État n’ont pas réussi à éliminer : la ploucrie! Et je crois même que, si ce n’était déjà le cas, ce qui est fort probable, elle s’est largement propagées hors des campagnes et jusque dans les ministères…

Quelques précisions statistiques datant de 2007 :

Depuis cinquante ans, la part de l’agriculture dans l’économie nationale a fortement diminué. Pourtant, les performances de l’agriculture en termes de productivité sont comparables à celles des autres secteurs. Mais la dégradation des prix agricoles réels a provoqué une baisse du revenu global. Le revenu agricole ainsi que sa composition ont connu des fluctuations très liées aux évolutions de la politique agricole commune. Si le revenu moyen par actif a progressé en termes réels depuis cinquante ans, c’est essentiellement du fait de la forte baisse du nombre d’actifs employés dans l’agriculture.

En 1955, la France comptait 2,3 millions d’exploitations agricoles (encadré 1). En 2003, elles ne sont plus que 590 000, dont 62,2 % sont considérées comme professionnelles. Deux mil- lions de personnes vivaient sur ces exploitations en 2000, soit quatre fois moins qu’en 1955. La population active agricole, familiale et salariée, atteignait 6,2 millions de personnes en 1955, soit 31 % de l’emploi total en France. En 2000, cette part est tombée à 4,8 % avec 1,3 million de personnes (figure 1) .

L’importance de l’agriculture, en matière d’occupation physique du territoire français, a également fortement décru depuis cinquante ans, tout en restant prépondérante. En 2003, l’agriculture occupe 32 millions d’hectares, que ce soit en surface agricole utilisée ou en territoire agricole non cultivé (figure 2). Cette superficie représente 59 % du territoire métropolitain français contre 72 % en 1950. Ce recul s’est fait au bénéfice de deux autres espaces. D’une part, les bois et forêts sont passés de 20 à 27 % du territoire de 1950 à 1990, mais plafonnent depuis. D’autre part, la surface du territoir e non agricole a presque doublé depuis 1950 et atteint aujourd’hui 14 % de la surface totale de la France : cette superficie est en particulier occupée par les zones urbaines et les réseaux de voirie. (la suite de cette étude publiée en 2007 est très intéressante et se trouve ..

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