F.A.Q.

Bon alors, vous, votre truc c’est de critiquer la métropole, si j’ai bien compris… Franchement, je veux bien admettre qu’on peut causer du projet d’aéroport NDDL (et encore, comme dit mon père, dans tout, y’a du bon et du pas bon …), mais causer de « la métropole », là, je vois pas…

Ben, nous aussi au début ça n’a pas été évident… Sauf que rapidement on s’est dit que c’est pas tellement pour les habitants de Notre-Dame des Landes et ses environs qu’est prévu cet aéroport, mais bien pour les habitants de l’agglomération nantaise, c’est-à-dire pour ceux et celles qui sont amené-e-s à prendre l’avion un peu plus souvent qu’à leur tour pour sauver la planète, que ce soit pour le boulot ou les vacances…

Oui, ben ça j’avais compris aussi….

Hé bien justement, nous on s’est dit que, comme la plupart d’entre nous sommes nantais-e-s ET contre l’aéroport, c’était pas mal de remettre en question ce projet d’aéroport en tant que nantaises et nantais… Parce que quand même, y’en avaient pas mal (genre ceux et celles qui décident…) qu’avaient pris la sale habitude de considérer que comme nantais-e-s, on était naturellement plutôt pour… T’habites à Nantes, t’as forcément envie de prendre l’avion et le mode de vie qui va avec sans te poser beaucoup de questions… Ça permet au passage de ranger les opposant-e-s au projet dans la catégorie bien pratique du « Not In My BackYard », – pas dans mon arrière-cour – bref, de réduire l’opposition au projet à une défense mesquine de voisins perturbés par le progrès…

Et c’est pas ça justement ?

Ben non, là t’as un peu de retard… Si, évidemment au début, c’est parti des gens très directement concernés (mais bon, on peut les comprendre, ils allaient se faire virer de là où ils vivaient… je suis pas sûr que toi-même tu serais fan… et d’ailleurs nous on trouve ça plutôt intéressant de partir de sa vie quotidienne pour poser les questions politiques…), ça fait bien longtemps que la lutte s’est élargie à bien d’autres sujets que pose ce projet d’aéroport : la lutte contre la crise climatique et la sauvegarde de la biodiversité (https://naturalistesenlutte.wordpress.com/), le mythe de la croissance et du développement économique comme seule finalité humaine, le mode de vie productiviste, l’aménagement du territoire ) et l’imposition brutale des grands projets inutiles, les manipulations des enquêtes publiques et des « processus participatifs », le gaspillage de l’argent public, la collision entre les géants de BTP et les élites politiques… J’en passe et des meilleurs…

Et vous là-dedans ?

Hé bien nous avec nos petits bras et nos non moins modestes cerveaux, on réfléchit au lien entre la métropole et ce projet d’aéroport…

OK, l’aéroport, c’est un projet, on peut être contre (mais comme dit mon père….), mais être contre une métropole, je répète, c’est un peu comme être contre la pluie… C’est un peu n’imp’…

Ben, c’est justement tout l’enjeu de ce qu’on essaye de faire : arrêter de faire croire que la métropole c’est un truc naturel, un truc qu’est là et qu’on n’a pas à interroger… Évidemment, il y a l’agglomération nantaise – on pourrait dire un espace urbain -, mais la métropole, c’est bien autre chose… Nous, on considère que la métropole c’est pas un processus naturel, une évolution urbaine normale… C’est d’abord et avant tout un projet politique….

Oui, mais ça veut dire quoi un « projet politique » ?

Ça veut dire qu’il y a des gens qui organisent de manière plus ou moins cohérente et à différents niveaux (économique, administratif, culturel, démographique, architectural, touristique, etc.) une certaine façon d’organiser la vie collective et publique (et à bien des égards une large partie de nos vies privées…) et donc d’organiser le pouvoir qui va avec…

Ouais, ben je vois pas le problème…

Ben, ce n’est pas forcément un problème en soit… Sauf que les principes de notre société sont théoriquement basés sur le fait d’être libres et égaux et un peu fraternel, je ne te l’a fait pas… Donc qu’à chaque fois que des gens organisent la vie pour d’autres, on est un peu en droit de se demander si ces principes sont au moins un peu respectés (nous, on dirait respectés tout court…). C’est ce qu’on appelle la question démocratique. Évidemment, y’a des gens que ça emmerde depuis longtemps cette volonté de liberté et d’égalité… La fraternité, ils s’en tapent encore plus… Que tout le monde puisse avoir le droit de se mêler de tout, de regarder un peu si la manière de vivre ensemble se fait sur ces bases, ça les fait chier, mais ça les fait chier, tu peux pas savoir…. Ceux et celles qui ont le pouvoir, tu imagines bien, ils likent pas bien cette idée. Hier, c’était les nobles. Aujourd’hui, c’est les banques, les multinationales et leurs sbires à cravates… Ils ont le pognon, le pouvoir, les avantages sous différentes formes et ils ont pas tellement envie que ça change…

Hou là, vous avez fumé quoi ? C’est quoi le lien avec la métropole ? Je ne suis plus, là…

Hé bien, y’a donc un projet politique qui s’appelle « la métropole » qui est une nouvelle façon d’organiser une très grande partie de la vie des gens autour des centres urbains. C’est notamment – mais pas que – lié à la modification du système économique capitaliste dans sa phase néo-libérale qui se réorganise donc de plus en plus autour des grandes villes (et non plus principalement comme précédemment depuis la révolution industrielle, autour des nations genre la France, l’Allemagne, etc.). En fait, il faut être plus précis : la Métropole, c’est le projet de soumettre l’espace urbain à la logique néo-libérale. Les gens qui mènent cette réorganisation de l’espace sont plutôt les gens d’en haut (genre les 1 %…) qui ont un sens de l’entre-soi assez développé, ils ont donc pas envie ni beaucoup l’habitude que les 99 % autres viennent leur dire « Hé, ce que vous être en train de faire, ça nous concerne directement et du coup, on veut bien aussi en discuter et surtout en décider ! ». C’est donc pour ça qu’ils aiment bien donner un coté naturel à leur projet… Pas naturel au sens d’écologique. Non ! Naturel au sens que ça se discute pas, c’est comme ça… Une très vieille et bonne façon pour éviter que les gens aient envie de discuter collectivement de tel ou tel sujets, c’est de dire que « c’est naturel », c’est comme ça et ça ne se discute pas… On nous a aussi fait longtemps le coup sur la répartition des tâches ménagères : c’était présenté et argumenté comme étant une fonction naturelle des femmes… Ben voyons… Bref, à chaque fois qu’on nous ramène le côté naturel d’une chose, y’a arnaque… Une bonne leçon à retenir ça…

Oh, tu t’éloignes, là, mon pote …

OK, un peu, d’accord, mais pas tant que ça… Mais je t’entends… Oui, pour en revenir à ce qu’on discutait plus haut, dire qu’une chose ou un processus sont naturels, cela revient à l’exclure de la sphère démocratique… Hé bien, certains nous refont le coup sur la métropole : la manière de vivre ensemble dans un espace urbain, sa ré-organisation, c’est un processus naturel, et la métropole, c’est présenté juste comme un grossissement naturel ou une version plus moderne, plus « tech » des anciennes villes industrielles… Faut dire que l’organisation des villes, l’aménagement du territoire, ça a toujours fait partie de ces choses dont on nous a dit longtemps dit que ça se discutait pas collectivement : circulez, y’a rien à causer.. Ben, oui, c’est technique, c’est compliqué, et en plus y’a des gens très forts, très compétents pour ça : les élites administratives, ceux qui sont passés par l’ENA ou polytechniques ou encore les Ponts et Chaussées…

Et alors ?

Ben, depuis les années 70, notamment avec des luttes antinucléaires et écologiques – genre le Larzac, Plogoff mais y’en a eu d’autres partout dans le monde…. – aujourd’hui Notre-Dame-des-Landes, Sivens, Bure, etc. Les gens ont commencé à se dire : « Mais c’est chez moi qu’ils veulent foutre leur merde ? Et au nom de quoi, d’abord ? « Ben, au nom de l’Interêt Général, pardi! …» qu’ils ont répondu et qu’ils nous répondent toujours d’ailleurs… Belle notion que cet « Intérêt Général »… Ça été la façon habituelle que l’État à trouver pour nous dire poliment : « Désolé mais là en fait c’est nous qui décidons… alors ton avis, tu sais où tu peux te le mettre… ». Et cette notion « d’Intérêt Général » est assez vague pour nous faire gober un peu n’importe quoi : ça peut aller d’une centrale nucléaire, à une autoroute pour faire plaisir aux égos de notables (voir par exemple « Rural, la BD de Davodeau), à un site d’enfouissement de déchets nucléaires comme à Bure ou encore à la création d’une zone commerciale dont nous le savons qu’elles manquent cruellement en France ou encore des Villages vacances comme on en rêve tous. J’en passe et des meilleurs… Avec tout ça, la notion « d’Intérêt Général » à un peu perdu de sa superbe, notamment parce que les procédures d’enquête de déclaration publique (voir par exemple la critique que peut en faire le réseau sortir du nucléaire sont un peu à la transparence et à l’indépendance ce que est « l’agriculture raisonnée » au changement climatique. Tout le monde sait que c’est juste de l’esbroufe et qu’à la fin, ce sont toujours les méchants qui gagnent.. Du coup, il reste quand même pas beaucoup de gens qui croient à cette mascarade et à cette notions d’Intérêt Général… Et ça, c’est quand même pas hyper pratique pour faire passer des projets comme à l’ancienne…

Ben, oui, les gens s’en foutent un peu de tout ça… Ils ne croient plus à rien…

Et c’est là qu’intervient l’action principale de nos politiques, faute d’avoir la main-mise sur les vrais espaces de pouvoir désormais concentré comme jamais dans les mains des banques et multinationales, ils en sont quasiment réduits à une chose : construire des Récits vantant les projets des tenants du Libéralisme. Ici à Nantes, on glorifie la beauté créatrice et la grandeur de la métropole. Les socialistes sont très fort là-dedans… Si généralement, la droite est un peu plus portée à nous faire gober que les choses sont naturellement comme elles sont (et à ce titre elle doivent le rester…), la « gauche de gouvernement » comme ils disent, elle, est plus forte dans la construction des grands récits attirants pour nous embrouiller la tête… Tu sais, dans le passé, y’a eu « le progrès » et « l’hygiène », « le Roman National », « la Patrie » apportés au bon peuple d’ici, la Civilisation et ses Lumières apportée là-bas aux pays africains et aux terres colonisés…

Et à Nantes, du coup ?

Ben, à Nantes, le grand récit qu’on nous vente, c’est celui de la « métropole ». Ca été le boulot – très réussi, on ne peut pas leur enlever ça – de l’équipe d’Ayrault depuis les années 1990, et aujourd’hui, un peu poussif, il est vrai, celui de Johanna Rolland. Ça a commencé avec l’opération de com’ du nom de « Nantes, L’effet Côte Ouest », première esbroufe qui a fait croire aux parisiens (les cons!) que Nantes était au bord de la mer. Ça a continué par se la raconter comme quoi Nantes étaient une ville où l’on s’amusait culturellement avec le festival des « Allumés » où on a autorisé les nantais-e-s à se torcher la gueule sévère pendant une semaine pour oublier qu’il ne se passait pas grand chose le reste de l’année… Ça s’est poursuivit avec Royal de Luxe où se cultiver consistait désormais à intégrer le troupeau des moutons qui suivent un faux éléphant, même très réussi. Ça a continué en 2013 avec la mystification d’une métropole durable et même verte (« Capitale verte de l’Europe ») tout en voulant saccager un bocage et une zone humide à Notre-Dame-des-Landes. On a eu également le récit de « Ma ville demain. Nantes 2030», vaste « dispositif participatif » où les seuls avis retenus étaient évidemment ceux qui rentraient dans les cases prédéfinies des communicants et des décideurs.

Johanna Rolland poursuit cette œuvre romanesque avec son projet des sept grands débats dont on ne sait s’ils verront véritablement le jour tellement le manque d’enthousiasme de la population est flagrant. On a eu ainsi droit à celui sur la Loire, « Nantes, la Loire et nous » qui (normal) a bien ramé… Celui de la transition écologique qui à l’air de s’être perdu en chemin. On attend les autres avec un flottement fébrile… Derrière toutes ces grands événements de communication se jouent la création d’un Récit métropolitain pour nous faire aimer la « Métropole nantaise », une métropole « attractive » « Créative », « Durable », « Culturelle », « verte », « solidaire », « participative », « high tech »… La réussite de Nantes, ce n’est d’ailleurs pas tant le développement économique qui concerne toutes les métropoles de cette taille mais bien la cohérence de ce Récit métropolitain qui fait baver plus d’un publicitaire… Les politiques sont devenus en quelque sorte une vaste agence de communication dont le boulot consiste désormais à construire une image attractive de la ville, une marque qui se vend… Quant tu les écoutes d’ailleurs un peu, on a l’impression que pour eux, la politique se réduit à ça : rendre « la métropole attractive »…

Ben y’a pas de mal à ça..

ben, ça se discute, parce qu’en réalité, il s’agit derrière ce projet de métropole et de ce récit métropolitain, de nous faire accepter la réorganisation de Nantes aux exigences de la mondialisation libérale. Et une ville soumise à la logique libérale, c’est pas trop kiffant… D’abord, tout comme le libéralisme, c’est la concurrence de tous entre tous, hé bien la métropolisation, ça devient forcément la concurrence entre toutes les métropoles. C’est ce que veut dire – sans le dire – cette idée « sympa » « d’attractivité » : attirer les capitaux de toutes sortes avant que les autres métropoles les choppent. Et là-dedans pas de cadeaux, la guerre, c’est la guerre… Je te parle même pas des territoires situés hors métropoles : alors là, on s’en fout grave, ils peuvent crever dans ce monde organisé autour des métropoles. Bon, certains politiques nous remettent la fameuse « théorie du ruissellement » : l’argent des métropoles financera « une solidarité des territoires ». On peut facilement imaginer que ce sera surtout la gestion de la pauvreté des territoires isolés… Ensuite, la métropolisation, c’est aussi le monde de la marchandise qui se répand partout.. Tout devient une marchandise et se doit mettre aux ordres du marché : un centre ville qui se transforme en vaste zone commerciale et en musée bien ordonné pour la consommation touristique de masse, nos habitations qu’on doit envisager comme un capital à faire fructifier, processus qui s’accélère encore plus avec les apparts Airbnb, une culture qui se réduit à un divertissement et à un investissement pour entreprises… L’histoire, nos envies de fête, de coopération, notre créativité, et même nos modes de vies sont mis en avant pour attirer l’investisseur, l’entreprise « hight tech », le touriste, la cadre sup’ et sa belle famille…

Évidemment, l’autre face de cette belle entreprise, c’est aussi une répression sans merci de tout ce qui va pas rentrer dans leur boîte-boîte néolibérale et entrepreneurial : les classes populaires et les pauvres, les migrants, les contestataires de divers ordres qu’ils soient politiques, sociaux, culturels dont s’occupe la police nationale ou municipale et surveillés par les toujours plus nombreux dispositifs de vidéo-surveillance….

Mais faut dire que ça donne pas une belle image de la ville…

hé bien tu l’as dit coco ! C’est ça qu’ils veulent… Précisément que tout un chacun pense l’endroit où il habite comme quelque chose à valoriser pour rentrer dans la grande guerre économique. Et pour valoriser, il faut que ça donne envie… il faut que ce soit attractif… Et la boucle est bouclée… Nos esprits ont été petit à petit contaminé par cette idéologie mercantile qui nous transforme toutes et tous en petits investisseurs à cravates… D’autres vies et d’autres façons de s’organiser collectivement sont moins misérables… C’est finalement un peu ce qu’on tente de faire en causant de la métropole…