Une histoire de… « la gentrification et la métropole » !

Avec des airs paternalistes de bon ton et une générosité sociale s’apparentant plus à de la démagogie ou du contrôle social, on t’autorise des miettes pour survivre.
On te ghettoïse dans des tours, loin de tout et de tous, ou on te laisse traîner ta misère endémique de chômeuse ou de chômeur – ou bien de gagne petit – dans des quartiers quasi insalubres, pas si loin du centre ville… Et toi (ou moi…), en tant que précaire et face à ces réalités par d’autres imposées, tu n’as d’autres choix que de développer tes propres ressources pour survivre à ce traitement de faveur si généreusement octroyé.

Passe le temps et les générations… Passent les différents pouvoirs politiques (qui toujours te regardent de haut, te méprisent)… Porté.e.s par l’impératif de vivre, et grâce à la chaleur humaine qu’apportent toujours la solidarité et l’entraide face à la pauvreté, grâce aussi à la créativité qu’apporte la colère aux laissé.e.s pour compte, toi et tes compagnons d’infortune vous êtes finalement adapté.e.s. La créativité
comme la débrouille, avant d’être les arguments promotionnels utilisés par les Métropoles, sont des armes indispensables pour dépasser le mépris des autres…

Vous avez transformé ce ghetto «infréquentable» en un quartier digne et vivable, avec vos codes, vos styles de vies et habitudes, même si bien entendu, tout n’est pas parfait (l’humanité étant ce qu’elle est ! Il ne s’agit pas là d’idéaliser la pauvreté en un mythe…). Des liens forts se sont créés. Des familles se sont fondées et se sont agrandies. Une histoire commune a vu le jour… Vous avez finalement su tirer partie des difficultés en les transformant autant que possible en atouts, en espoir, en moments de bonheur, et en créant des formes d’autonomies dans une micro société forte de ses propres particularismes et autres signes de reconnaissances, parfois perceptibles par vous seuls.

Mais hélas, rien n’est jamais acquis ! Et en ces temps ou le libéralisme (l’individualisme et l’enrichissement à tous prix) est devenu pensée unique et norme sociétale, les pouvoirs locaux, qui hier en bons colonialistes, vous ont banni sur des terres insalubres, n’ont plus aujourd’hui d’autres projets que de venir piller vos lieux de vie! Maintenant que ce quartier de relégation a enfin surmonté les épreuves et gagné son autonomie, tu peux être certain.e que sous les faux prétextes de mixité sociale ou d’amélioration de l’habitat, cette nouvelle entité de pouvoir qu’est la Métropole, est là pour récupérer ou détruire les fruits de ton adaptation.

Dorénavant, face à la concurrence des autres Métropoles, tentant à tous prix par sa «créativité» et son «dynamisme» de développer son attractivité, elle va te rendre la vie sur place impossible, et tu vas sans doute devoir partir et recommencer ta vie ailleurs ! Car afin d’intégrer ton quartier dans ses plans de développement (folle fuite en avant vers une croissance économique dévoreuse et dévastatrice dont tout le monde sait qu’elle nous emporte droit vers la catastrophe), la Métropole va  le réhabiliter !

Elle va enfin «t’aider» à sortir de cette «enclave» afin que tu découvres «un ailleurs» (forcément bien meilleur, puisque bien malgré toi, «ici» te sera devenu invivable, et toi indésirable)… Armée de grands spécialistes de la novlangue et de l’embobinage (les communicants…), et avec le même mépris autoritaire qu’a toujours le pouvoir des riches et des expropriants, tout sera bon pour te faire quitter ton lieu de vie (allant même parfois jusqu’à l’usage de la violence policière, cette ultime option, hélas trop souvent acceptable dans l’inconscient du citoyen): c’est à ces moments là qu’elle va montrer son vrai visage !

Dans ce quartier anciennement «miteux» et «infréquentable», les travaux de réhabilitation s’accompagneront d’une hausse spectaculaire du coût de la vie. Et si tes moyens étaient juste suffisants pour y vivre, tu n’auras de toute façon d’autres choix que d’en partir ! On aura sans doute préalablement réduit, fermé ou déménagé petit à petit une partie des derniers services publics de proximité ou les centres de soins de ce territoire stratégiquement placardisé (qui sans doute rouvriront, modernisés, après ton départ).

On gardera cependant de ce «quartier au passé pittoresque» deux trois murs tagués ou quelques pierres apparentes s’il y en a. Mais tes lieux de rencontres, comme les bars plus ou moins mal famés que tu fréquentais ou les salles de concerts plus ou moins clandestines qui donnaient dans un avant-gardisme jusqu’alors scandaleux et vilipendés seront rachetées, et les nouveaux proprios ne voudront soudain plus de toi (va faire la manche ailleurs ou va bosser et repasse donc après boire un demi, au prixdu cocktail des anciens tauliers… !).

Les anciennes petites épiceries et autres bouis-bouis ou on trouvait un peu de tout, y compris un réel rapport humain (toutes et tous étant dans le même bateau), vont laisser place aux marchands de «véritables produits du terroirs» et autres friperies de luxe. Les places de stationnement deviendront payantes, et même très chères de l’heure. Les caméras de surveillance ne te quitteront pas de leur regard froid et paranoïaque et ta liberté s’effilochera en même temps que tes liens sociaux voir familiaux.

Des cadres dynamiques et autres gentils bobos ambitieux (branchés sport et culture et bien sûr nouvelles technologies, aux fringues et aux idées bien proprettes ou l’argent et le standing tiendront la plus grosse place…), seuls ou en famille, lécheront les vitrines dans lesquelles scintilleront des produits hors de prix.

La vie sera lisse et sans trop de surprises et, le soir venu, les trottoirs seront tout autant froids et déserts que les entrées d’immeubles, fermées, verrouillées, surveillées… La sécurité et la paix sociale seront les maîtres mots et une réelle garantie pour ce quartier dorénavant entièrement consacré à l’épanouissement de vrais consommateurs et producteurs de «richesses».

Ce jour là, qui s’il n’est passé, se rapproche de plus en plus, tu seras définitivement mis en face de ce qu’est cette fameuse gentrification qui fait des ravages dans chaque grand centre urbain de part le monde. Tu feras alors partie d’un club des plus ouverts : celui des nouvelles victimes de la
croissance métropolitaine…

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