Nantes : la ville au service des riches

Nous retransmettons ici un texte de Nantes Révoltée paru sur facebook puis mis sur nantes.indymedia.org :

Des fast-food qui colonisent les rues. Une enseigne de Starbucks qui ouvre. Puis deux, puis trois. Un centre commercial qui s’installe en plein centre-ville. Des grands projets immobiliers hors de prix. Une forêt des grues qui surgissent sur l’île de Nantes. Des gyrophares. La métropole se transforme à toute vitesse sous nos yeux. Ce phénomène a un nom : la gentrification – c’est à dire le remplacement des classes populaires par les riches –, qui s’accompagne de la marchandisation de l’espace public – la rue n’est plus un lieu de rencontre, de vie, de flânerie, mais un endroit où il faut consommer à tout prix. L’expulsion des pauvres de la ville s’articule avec plus de répression, mais aussi avec la destruction des modes d’expression et d’action contestataires : graffitis, manifestations, squats … A Nantes, la mairie socialiste utilise sa politique culturelle pour faire accepter ses choix dégueulasses.

Passage en revue de quelques changements emblématiques :

– Un hôtel de luxe au tribunal. Avant de se situer sur l’île de Nantes, le tribunal de la ville était dans le centre historique, sur la Place Aristide Briand. Les élus ont décidé d’installer dans ce bel édifice un hôtel de luxe : le Radisson Blu. Le souhait des aménageurs : « attirer les investisseurs » et « faire rayonner la métropole » avec une enseigne d’envergure « internationale ». C’est dans cette même logique que la ville a décidé de se doter d’un nouvel aéroport surdimensionné, « international » lui aussi, à Notre-Dame-des-Landes, pour attirer les cadres et les patrons vers la métropole. Juste à côté de ce nouvel hôtel 4 étoiles, l’ancienne prison de Nantes sera transformée en logements hors de prix. La caserne militaire qui se situait sur la même place est d’ors et déjà transformée en spa-balnéo chic entourée d’habitats cossus. Bref, en quelques années, les décideurs ont métamorphosé une place et un quartier du centre ville où se situaient les institutions punitives en espace ultra-privilégié.

– La guerre au graffiti. Vous l’avez vu, en comparaison avec d’autres villes, les rues de Nantes sont d’une propreté et d’une fadeur impressionnante. On se rappelle des karchers et des camions de nettoyage qui suivent les manifestations pour qu’il ne reste aucune trace visible des luttes dans le centre-ville. On connaît aussi la politique de nettoyage systématique des tags, et de poursuites judiciaires lourdes contre les tagueurs. Aujourd’hui, la ville va plus loin : le grand mur de graffiti du bas Chantenay, lieu fabuleux et sauvage de granit et de ronces fréquenté par les tagueurs et les curieux depuis plus de 20 ans sera rasé pour en faire un jardin à la française. C’est tout un pan de l’histoire artistique locale qui disparaîtra, et un lieu d’expression libre anéanti. Ce projet de nouveau parc est la figure de proue d’un aménagement beaucoup plus vaste de tout le bas Chantenay, pour en chasser les familles populaires et y construire des logements plus chers. Comme lui, d’autres murs de graff sont voués à la disparition à Nantes. Pour faire passer la pilule, les élus nantais sont malins : ils subventionnent quelques associations de graffeurs connus, peu dérangeants, utilisés comme caution pour présenter Nantes comme une ville branchée qui «valorise les cultures urbaines ». Mais seulement quand elles sont sous contrôle.

– La fin des friches et des lieux de flânerie. Nantes est une ancienne ville industrielle, avec de nombreuses friches où les ados aimaient jadis aller traîner en bande, jouer, faire du sport. Sur l’île de Nantes, ces espaces hors contrôle ont été colonisés par les attractions touristiques des Machines de l’Ile, qui effacent également l’empreinte ouvrière des lieux. A l’endroit où se trouvent aujourd’hui l’éléphant et une barge gastronomique travaillaient jadis des milliers d’ouvriers de la Navale, qui faisaient partir d’immenses navires vers l’Atlantique. C’était aussi un haut lieu des luttes sociales locales. Autour de ces attractions, des immeubles poussent comme des champignons pour accueillir une nouvelle population de cadres et de classes supérieures. En plus des friches, les lieux de flânerie s’effacent également. Le square Fleuriot, où s’installent marchands ambulants, lycéens ou passants qui y mangent sur le pouce, juste à coté de la Place du Commerce, sera transformée en un grand bâtiment commercial. Comme si Nantes, qui compte une surface commerciale par habitant largement au dessus des moyennes françaises et européennes, avait besoin de plus de lieux de consommation … Les élus pensent aussi installer un autre complexe commercial sur le square Daviais et la Place de la Petite Hollande ! Ce qui serait une véritable déclaration de guerre.

– La chasse aux SDF. Regardez les bancs publics, les arrêts de bus, certains halls ou devantures de banques. On y a installé des pics, des barres, des inclinaisons qui rendent toute position inconfortable, qui empêchent de s’y allonger et d’y rester. Personne ne le remarque, mais ces dispositifs sont conçus et pensés pour empêcher les plus démunis de rester dans la ville et de «polluer» le paysage. Plutôt que d’aider les exclus à s’en sortir, on préfère les faire disparaître de nos champs de vision. Il y a encore quelques années, il y avait encore de jolies Halles sur la Place du Bouffay, qui abritaient des bouquinistes, protégeaient de la pluie, et qui accueillaient des fêtards et des sans-toit. Ces halles ont été enlevées – soi-disant pour une durée temporaire – pour accueillir une œuvre du Voyage à Nantes. Elles n’ont jamais été réinstallée. La Place est aujourd’hui vide, toute entière dévolue à la consommation. Il faut avoir les moyens de payer un verre ou un resto pour y rester.

– Toujours plus de flicage. La mairie compte installer 200 caméras de surveillance supplémentaire en ville dans les mois qui viennent. La police patrouille en permanence et en nombre sur tous les grands axes nuit et jours, pour arrêter zonards, tagueurs ou fêtards ivres. Les squats, en particulier quand ils sont revendiqués politiquement, sont expulsés en un temps record. Quant aux manifestations dans le centre-ville, elles sont désormais nassées ou chargés systématiquement. Au delà des question sécuritaires, ces dispositifs complètent ce nouvel aménagement de la ville : il faut chasser les indésirables pour rendre la ville accueillante pour les plus riches. Pour qu’ils s’y sentent bien, et y investissent leur argent.

Comment riposter ? Le mouvement contre la Loi Travail au printemps 2016 a été une belle entreprise collective de « dé-gentrification ». La quasi-totalité des banques ont été mises hors service pendant plusieurs mois. Certaines n’ont jamais ré-ouvert. Les vitrines, recouvertes de plaques de bois, étaient constellées de messages et d’affiches plutôt que des slogans formatés de multinationales. La ville changeait de visage. La Place du Bouffay était occupée quotidiennement pour des débats et des fêtes ouvertes à tous sans distinction de revenus, qui duraient parfois une partie de la nuit. Ces pratiques sont autant de pistes pour enrayer le rouleau compresseur d’un aménagement au service des riches.

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