Alternatiba : « Un autre monde existe, il est (déjà trop) dans celui-ci. »

alternatif_bahnan« We are the first generation to feel the effect of climate change and  the last generation who can do something about it. » — President Obalternatibama

Ce dimanche, la place du Bouffay et ses alentours se retrouvent envahie par la seconde édition d’Alternatiba. Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout au long de sa préparation de nombreuses voix se sont élevées pour en pointer des contradictions, de l’intérieur comme de l’extérieur. Cela même si sa communication officielle semblait ne vouloir présenter ses participant.e.s que comme un bloc homogène. Tout cela sur un mode triomphant et volontariste, mais en évitant de répondre au points soulevés

# L’alternative au prix fixé par les responsables de la situation :

L’un des plus gros points de désaccords qui provoqua un intense débat durant l’été fut le financement de cette intiative. [1]

Pour beaucoup, voir une évènement « contre le changement climatique » courir après les subventions de la mairie de Nantes, du Conseil Général et du Conseil Régional, ardents défenseurs du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, représente en soi un non-sens.

Qui habite à Nantes et a des activités associatives sait bien, n’en déplaise aux organisateurs, que toute subvention de ces « pouvoirs publics » n’est possible qu’avec des contre-parties. Peut-être pas toujours par des pressions directes, parfois simplement parce qu’une association ne peut survivre sans. Tout au moins cela sert souvent la « communication » des ces autorités, toujours férues de green-karsher. On imagine déjà Alternatiba au sommaire du prochain Nantes Métropole ™, à côté d’un autre pour le nouvel aéroport.

L’épisode du courrier d’Auxiette, financeur d’Alternatiba donc, qui demandait aux associations écologistes de la région de « […] dénoncer toutes les actions illégales qui décrédibilisent celles et ceux qui restent opposés au transfert de l’aéroport de Nantes, à défaut, c’est votre propre crédibilité qui sera en cause, ce d’autant plus que votre organisation est bénéficiaire de nombreux dons publics, notamment régionaux », [2] outre ce que cela révèle sur la bétise du personnage, parle en lui-même.

Il aura fallu la publication d’un courrier interne à Alternatiba [3] expliquant clairement les conditions de la mairie de nantes pour que la « coordination Alternatiba Nantes » continue malgrès tout à nier l’évidence…[4] Dans le fond, Alternatiba a mis le doigt dans un système bien institué à Nantes, celui des subventions aux associations, et botté en touche sur la question de l’aéroport.

Beaucoup de blabla mais peu de débat de fond, pour que certain.e.s participant.e.s à cette lutte puisse venir à Alternatiba, quand bien même celle-ci n’est qu’à peine mentionnée directement. Tout juste l’ACIPA et le CeDPA pourront-t-ils être présents, et encore sur le thème de « l’expertise citoyenne ». Décidemment, le mot aéroport est dur à prononcer. Ne parlons même pas de la présence d’occupantEs de la zone ou des divers comités de soutien, qui ne construisent sans doute pas d’alternatives…

# Les non-citoyens et les luttes dans cette ville

Alors que quand Alternatiba négocie la place du Bouffay avec la mairie, on se demande quel discours est porté par exemple face à la gentrification que ce quartier subit ces dernières années, et des luttes que cela a généré.
Bien au dessus de ce genre de problème, l’organisation cherche des espaces couverts, espaces qui existaient encore il y a peu avec le marché justement couvert du Bouffay, marché historique et place vivante, que la mairie de Nantes a décidé de raser pour en faire une autre de ces places aseptisées et flicables.
Il était même envisagé d’utiliser « les nouvelles douves en face de la place du Bouffay » [5], autrement dit les nouveaux espaces aménagés sur le cadavre du square Mercoeur (qui se transformera bientôt, après moult retard, en zone humide, heu pardon, mirroir d’eau…)

En parlant de « citoyens du centre-ville », population résultante de cette gentrification, Alternatiba choisit de cibler un public particulier. Ce public, celui de la place du Bouffay un dimanche, c’est une classe sociale plutôt aisée, celle qui a les moyens de se poser des questions de « consommateur responsable » et de baisser son chauffage à 20° comme elle le lit dans l’immense flot de communication des autorités.

Mais on se demande bien ce qu’il advient des personnes qui ne rentrent pas (ou ne veulent pas rentrer) dans cette catégorie.
Quid des migrants que la mairie pourchasse, ou des quartiers populaires ? De toutes celles et tous ceux pour qui boucler la fin de mois est déjà une urgence ; pour qui la question de quel produit bio consommer pour sauver la planète paraît bien inaccessible ?

Sur toutes les questions thématiques de cet évènement (quand certaines ne sont pas juste oubliées), on ne retrouve étrangement aucune des luttes de celles que l’on peut croiser dans cette ville, et qui ne s’adresse plutôt pas au public de consommateurs du dimanche. Aucune de toute cette constellation qui s’auto-organise en autonomie des autorités, que ce soit à travers des potagers occupés ou des logements ouverts contre la gentrification, ou encore des lieux autogérés sans kit. Les exemples sont en réalité multiples. Mais toute référence à des mouvements populaires est voué à la disparition / digestion dans le processus d’institutionnalisation.

# Mais au fait, c’est quoi une alternative ?

L’une des caractéristiques du capitalisme, structure responsable du désastre social et écologique en cours, est bien sa capacité à recycler et intégrer les initiatives qui tenteraient de s’en échapper. C’est une partie intégrante de son système de perpétuation. Les subventions en sont un levier, mais beaucoup d’autres sont en jeux.

Le langage en est un. Par l’usage de mots, il définit notre capacité à penser et se représenter le monde.
Quand la « Coordination européenne des Alternatiba » se met à utiliser des mots du pouvoir dans ses communiqués [6], tel que « logiciel » pour parler d’organisation sociale, la logique gestionnaire pointe le bout de son nez. C’est également ce que l’on sent dans leurs communications qui parlent de « créer une nouvelle génération de militants ».

Quand un évènement utilise des méthodes d’organisation qui sont réellement proche de celles d’une entreprise, de quelle alternative peut-on parler ?
Les responsables d’Alternatiba Nantes parlent de « démocratie directe », mais payent grassement une coordinatrice (manager ?) 12000€ pour 2 mois, un salaire dont beaucoup ne peuvent par même réver, pendant que ses bénévoles crachent leur porte-monnaie pour le financer et « oeuvrer » gratuitement. Tout cela relève finalement d’une vision d’un mouvement sorti de nulle part, créé de toute pièce et géré par des experts salariés si possible.

On ne peut pas nier qu’Alternatiba a réussi à agréger beaucoup d’associations autour de l’évènement, en s’appuyant notamment sur un réseaux pré-existant à Nantes d’associations ou d’individues, initiatives, aux objectifs parfois finalement très différents. Cela au prix de grands écarts et silences troubles sur des questions de cohérence.

Au fond il ne s’agit que de reproduire une recette, vendue kit clés en main. Mais un mouvement n’est-il pas par définition unique, et fonction des ses composantes et de son contexte, « mouvant », dans ses formes, organisations, et ses expressions ? Ou est-ce quelque chose qui est finalement si proche dans ces aspects de ce qu’il faut déconstruire pour bâtir qu’il en deviendra une pierre ? Ce n’est en tout cas pas simplement en singeant des méthodes d’organisation issue de mouvements populaires, comme une sorte de messe, qu’un mouvement peut se construire. Pour qu’il parvienne à ne pas être digéré par la machine, à être autre chose, il a sans doute à faire des ruptures sur ce qui le rendrait comestible (équitablement ou pas).

Cet enjeux de rupture est d’autant plus important dans une ville comme Nantes, où les autorités ont justement absorbé le discours écologiste en un concept marketing pour vendre leur métropole. Il est au final bien difficile de faire la différence entre ce discours et celui d’Alternatiba, tant les contradictions internes de cet évènement permettent de ne bousculer en rien le status-quo autour du green washing en cours. Bien au contraire…

Notes :
[1] http://nantes.indymedia.org/articles/29939
[2] Ces actions illégales étant de celles qui ont permis de retarder jusqu’ici le projet d’aéroport.
[3] « Le rôle de la commission [gouvernance] à pris un tournant assez stratégique étant donné les conditions de la mairie pour que l’événement se face (notamment en besoin financier) : l’absence de l’ACIPA. L’organisation d’une conférence sur les grands projet inutile fait parti des « mesures compensatoires » [sic, fallait oser] imaginées pour. » http://nantes.indymedia.org/articles/29939#comment-271792
[4] « Alternatiba Nantes n’accepte que les financements non soumis à condition », Communiqué de la coordination d’Alternatiba Nantes, Mercredi 10 septembre 2014
[5] Compte rendu de la réunion/visite Alternatiba 16/03/2014 – http://nantesentransition.net/netblog/wp-content/uploads/bp-attachments/90/20140316_CR_reunionEspaces.pdf
[6] Communiqué de presse de la Coordination européenne des Alternatiba http://nantes.indymedia.org/articles/29939#comment-271806

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